Quelques aspects techniques dans la confection des " perles " néolithiques en pierre du Sahara


Artcicle de Jean-Pierre Duhard
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Résumé :

Pour les Néolithiques, confectionner un élément de parure en roche dure n'était pas un travail aisé mais n'offrait pas davantage de difficultés que la taille des outils en silex, comme les armatures bifaciales pédonculées à ailerons de têtes de flèche par exemple. Par contre, le perçage était une étape délicate, l'abondance des pièces brisées sur les ateliers (un atelier se reconnaît à la concentration des outils et à l'abondance des déchets de taille) en témoignant. Ce n'est pas dans les procédés actuels que nous pouvons trouver la solution aux problèmes techniques que pose leur confection (actuellement les perles sont formatées sur des meules au carborandum (grain 80 pour dégrossir, puis 200, 600 et 1200) et percées à l'aide de mèches diamantées. Le polissage se fait avec de la patte diamantée étalée sur une chamoisine. Le carborandum est un carbure de silicium (SiC) très dur (presque autant que le diamant), obtenu en chauffant un mélange de silice et de carbone.), mais plutôt dans l'étude des pièces en notre possession (Les éléments étudiés sont ceux découverts in situ par l'auteur Algérie, Mali, Niger, Mauritanie)

Resumen

Para los Neolíticos, el hecho de confeccionar un elemento de adorno en dura roca no constituia un trabajo facil aunque no ofreciera más dificultades que la talla de útiles en silex, como, por ejemplo, armaduras bifaces pedunculadas con alerones en cabeza de flecha. Sin embargo, la perforación resultaba una etapa delicada, como lo prueba la abundancia de piezas rotas presente en los talleres. No son los actuales procedimientos los que nos podrían orientar sobre los problemas técnicos que presenta su confección, sino, más bien, el estudio de las piezas que obran en nuestro poder.

Définitions

Stricto sensu, une perle est un élément sphéroïde constitué d'aragonite (nacre) sécrété par certains mollusques bivalves. Jusqu'à preuve du contraire, de telles perles n'ont pas été trouvées dans le Sahara néolithique.
Dans le langage courant on appelle " perles " des objets de parures à section circulaire pourvus d'une perforation centrale. Cela ne préjuge ni de leur dimension, certains sont énormes, ni de leur utilisation (ornement, bouton ?).
Si le terme est acceptable pour l'usage commun, il manque de rigueur sémantique et demanderait à être précisé quant aux formes et aux matériaux (fig.1)

et il faudrait parler de " perle " sphéroïde, cylindrique, fusiforme, conique ou discoïde, de nature minérale (roche, verre), métallique (or, cuivre, fer) ou organique (argile, bois, os, ivoire). Je l'utiliserai cependant car il est admis, mais en le laissant entre guillemets.
Quand l'orifice de perforation est excentré, on devrait parler de " pendeloques ", qui sortent des limites du sujet, mais dont l'élaboration fait appel à des techniques identiques.
Dans l'analyse technique de la confection de ces éléments de parure, seront successivement envisagés : le débrutage, la perforation et le polissage, sans se masquer les difficultés de l'entreprise, ni prétendre être exhaustif, d'autant que l'étude sera limitée aux éléments lithiques et au Sahara néolithique.

Le débrutage
(Dans le vocabulaire des lapidaires, le débrutage est la mise en forme de la matière brute. Je préfère "formatage")

la matière première

Le support matériel est généralement une roche dure faite de quartz (hyalin ou translucide), amazonite, granit ou silice (agate, calcédoine, cornaline (Variété de calcédoine, la cornaline est un quartz microcristallin (SiO2) coloré par des oxydes de fer, sa couleur allant de l'orange foncé au rouge sombre, de dureté 7 (rayant le verre), à cassure conchoïdale). Dans le Sahara, cornaline, quartz rose et cristal de roche ont été particulièrement prisés, du fait de leur aspect esthétique.
Mais des " perles " ont pu être taillées dans des pierres tendres (schiste, calcaire (Perles en calcite zonée de Bordj Mellala en Algérie (Aumassip G., Marmier F. et Trécolle G., 1974. Le gisement " Les Perles " aux environs de Bordj Mellala (Ouargla). Libyca, CRAPE, Alger, T. XXII, p. 145-156), stéatite), de la coquille d'œuf d'autruche (Dans le Tilemsi il y a très peu de parures en coquille d'œuf d'autruche ; j'en ai trouvé quelques exemplaires ainsi que plus au sud, dans la région de Téra, au Niger (Korogoussi), des coquillages, des fossiles (oursins, encrines), des tessons de céramique ou des matières périssables : bois, os (Dans le Tilemsi il y a très peu de parures en coquille d'œuf d'autruche ; j'en ai trouvé quelques exemplaires ainsi que plus au sud, dans la région de Téra, au Niger (Korogoussi), ivoire.
La matrice de ces " perles " était obtenue de différentes façons, aucune n'excluant l'autre sur un même site :
- utilisation de galets bruts roulés ayant une forme favorable ; c'est le cas de Gadaoui (Vallée du Tilemsi, Mali) les Néolithiques ayant recueilli sur le reg des cailloux de quartz rose et de cornaline et de Tichitt (Mauritanie).
- fabrication d'éclats : soit aléatoires et obtenus par percussion écrasement d'un bloc de matière, soit taillés par percussion dirigée ; on disposait dans les deux cas de fragments de matière qu'il fallait ensuite mettre en forme ; c'est ce que l'on observe généralement. Le recours à l'action thermique est probable dans certains cas (L'éclatement thermique des masses rocheuses a été évoqué par Gaussen (1988) à propos des carrières à silex de l'oued Ichawan (Lagreich) et le chauffage de la matière première pour les industries des stations de la Calcédoine (Adrar des Ifoghas) et d'Ilouk (Tilemsi).
- débitage transversal d'un éclat prismatique ou d'un nucléus à lamelle donnant des éléments à faces lisses. Il est possible, sinon probable, que les matériaux aient pu être extraits en un endroit, dégrossis sommairement sur place ou sur un autre site et le travail final achevé ailleurs. Ceci étant valable aussi bien pour les perles que pour les outils de perforation.

formatage

A partir de l'élément matriciel, une mise en forme a été faite, selon divers procédés. En cours de confection des accidents se sont produits, comme le montrent les pièces brisées à différents stades d'élaboration laissées sur les sites, éléments fournissant des indications sur le processus opératoire. Nous décrirons quelques-uns uns de ces procédés :

1 - taille d'un nucléus discoïde : procédé de Télâtaye
(Station néolithique de la région de Ménaka (Mali). Le même procédé a été utilisé à Ilouk et Taguelalt, sauf en ce qui concerne la perforation)

La technique de confection a été décrite par le Dr Gaussen
(Gaussen M., Gaussen J. 1988. Le Tilemsi préhistorique et ses proches abords. Cahiers du Quaternaire, n° 11, Paris CNRS, 1 vol. illustré. Et : Gaussen J., 1991. Perles néolithiques du Tilemsi et du pays Ioullemedene (ateliers et techniques). L'arte e l'ambiente del Sahara preistorico : dati e interpretazioni. Memorie delle Società Italiana di Scienze Naturali e del Museo Civico di Storia Naturale di Milano. Vol. XXVI, Fasc. I, p. 1-4.) :

- à partir d'un éclat ou d'un bloc de cornaline de forme variable était taillée au percuteur dur (un percuteur est une sorte de marteau, servant à frapper sur un bloc de pierre pour en détacher des éclats ou le modeler. On parle de "percuteur dur" quand il est en pierre et de "percuteur tendre" quand il est fait de bois végétal ou animal d'os ou d'ivoire. ce dernier permet une taille plus soignée) une ébauche en forme de disque (fig. 3).

- puis des retouches par pression (la retouche par pression, inventée au Solutréen, permet l'enlèvement de minces éclats parallèlement à la surface.) à l'aide d'un outil de bois végétal ou animal, d'os ou d'ivoire (Pour les perles en cornaline de Larsa (Iraq), datant de l'époque du Cuivre, des retouchoirs en cette matière ont pu être utilisés pour tailler les éléments discoïdes) , effectuées à la fois sur les faces (enlèvements centripètes, que Gaussen nomme le facettage) et sur les flancs (enlèvements abrupts) aboutissaient à un nucléus discoïde se présentant comme un élément circulaire, aplati et biconique.
C'était donc une véritable perle taillée que l'on obtenait, par un procédé identique au débitage d'un nucleus pyramidal ou d'un nucleus Levallois. Les dimensions moyennes de ces éléments étaient de 20 mm de diamètre et 6 mm d'épaisseur.

2 - utilisation d'une matière brute : galet perforé de Tichitt

En Mauritanie, dans la région de Tichitt, j'ai trouvé sur un site de contexte néolithique des petits galets utilisés à l'état brut, sans aucun aménagement, et simplement percés (Quelques exemplaires ont également été recueillis près du Kreb In Karaoua, dans la haute vallée du Tilemsi (Mali).
Dans le lot, certains avaient fait l'objet d'un formatage et d'un égrisage pour aboutir à un élément discoïde (fig. 4).

3 - dégrossissage d'un galet : procédé de Gadaoui
Gaussen (1988) a trouvé aux alentours de Gangaber deux autres ateliers avec des éléments en tous points semblables, et qu'il inclut dans son faciès K.

Lhote (Lhote H. 1942. Découverte d'un atelier de perles néolithiques dans la région de Gao (1ère partie). Bull. S.P.F., p. 277-302 et 24-35. & 1943. Découverte d'un atelier de perles néolithiques dans la région de Gao (2ème partie). Bull. S.P.F., p. 24-35.)décrivait différents stades dans la confection des " perles " en quartz (Le choix de ces galets, malgré les difficultés de travail du quartz (nombreux ratés) s'explique par leur belle couleur rose, dénotant un sens esthétique certain) de Gadaoui, le premier étant un débitage du galet roulé, en le fendant en deux puis en enlevant les parties patinées pour aboutir à un élément ayant à peu près la forme et les dimensions de la pièce définitive.
Ce dégrossissage a été pratiqué au percuteur et au burin (Le burin est abondant au Paléolithique supérieur et au Néolithique), technique reproduite expérimentalement par Lhote (Les percuteurs pouvaient être en roches dures diverses : silex, quartz ou grès. .

4 - Elaborations d'éclats : procédé de Korogoussi

la station de Korogoussi, que j'ai découverte au Niger, est dans le secteur de Téra (coordonnées : 14 25 48 / 000 44 45 (sur carte IGN 1/200.000°). Elle offre une remarquable diversité de " perles ", allant du Néolithique à l'époque moderne, avec une grande variété tant dans les matières (cornaline, quartz, œuf d'autruche, fer, verre, céramique, agate…) que dans les formes (discoïde, cylindrique, fusiforme).
Parmi ces éléments de parure, où la majorité est de nature classique et banale dans les faciès sahélo-sahariens, une variété semble moins connue : je l'ai dénommée " perle " de Korogoussi (fig. 2).
Il s'agit d'éléments d'enfilage élaborés par perforation unilatérale excentrée sur des éclats de quartz sommairement débrutés (la forme grossièrement circulaire justifie de les classer avec les " perles ", malgré l'excentration). Ce quartz est une matière première abondante dans toute la région, où l'on voit communément des affleurements (Il existe aussi des filons de quartz aurifère, faisant l'objet d'une exploitation artisanale, aussi bien au Niger (Simba) qu'au Burkina-Faso (Aribinda).
- beaucoup d'éclats, de 15 à 20 mm de diamètre et 2 à 3 mm d'épaisseur, ont été utilisés tels quels, sans aménagements ;
- d'autres ont eu le pourtour à peine régularisé en " rondelle mince" ;
- quelques-uns uns ont fait l'objet d'une taille pour aboutir à une " rondelle épaisse " discoïde à faces à peu près parallèles d'un diamètre de 12 à 15 mm, pour une épaisseur de 3 à 4 mm. Dans ces derniers cas le bord a été abattu et un facettage pratiqué.

5 - élaboration d'un élément cylindroïde

le nucleus initial est aménagé par enlèvement de petites lamelles et d'éclats, tant sur les faces que sur le pourtour, jusqu'à obtenir un élément cylindroïde ou fusiforme. La technique d'enlèvement, assez univoque dans le Néolithique en général, se faisait très probablement par pression à l'aide d'un instrument en os ou en bois.
Cet élément peut être plus ou moins haut aboutissant à des éléments perforés discoïdes ou tubulaires (ils sont dits discoïdes quand la hauteur est inférieure à la moitié du diamètre, tubulaires quand la hauteur est supérieure au diamètre), de longueur variable.
les faces de perforation de cet élément sont assez souvent planes et il semble que cela résulte d'un enlèvement d'éclat Levallois plutôt que de micro retouches. Pour les parures en quartz de filon, le caractère grenu de la matière ne permet pas toujours de le préciser.
Dans d'autres cas elles ont un aspect en cratère résultant de la technique de perforation (piquetage).

Perforation

On connaît assez bien les procédés de taille, et beaucoup moins les techniques de perforation. El Bekri, historien arabe, rapportait que les gens du sud-est de l'Ahaggar faisaient commerce de pierres ressemblant à de l'agate, destinées à être polies et percées d'un trou au moyen d'une pierre dure, sans donner davantage de détails techniques (selon Delafosse, cité par Lhote, 1943.).

Les outils

Le matériel périssable ayant disparu (os excepté), seul subsiste le lithique pour nous aider à les deviner.
A Gadaoui, Lhote avait relevé la présence, à côté des " perles ", de perçoirs, tarauds, burins et petits coins en silex, qu'il supposait destinés à percer les galets.
Plus tard, les Gaussen ont signalé l'existence d'un atelier de burins (M. et J. Gaussen. 1965. Un atelier de burins à Lagreich Néo-1, Oued Tilemsi, République du Mali. L'Anthropologie, T. 69, n° 3-4, p. 237-248) à Lagreich-Néo 1, riche de milliers d'exemplaires, alors que le burin était réputé rare en zone saharienne. Il apparaissait évident que ces burins n'étaient que des rebuts, exactement des nucléus spécialisés dans l'obtention de lamelles épaisses, les chutes de burin, à section triangulaire ou quadrangulaire, ces chutes étant les véritables outils destinés à la perforation.
Et ces " perforateurs " sont effectivement présents en abondance dans toutes les stations de la région, notamment celles où l'on fabriquait des " perles " (Gadaoui par exemple). D'ailleurs, à quelques mètres de cet atelier de burins de Lagreich se trouve un site de confection de " perles ", et un autre est situé à quelques kilomètres de là (Ilouk).
J'ai constaté, partout où existaient de tels ateliers, même d'importance modeste, que l'on trouvait ces objets, que ce soit associés à des éléments discoïdes en coquille d'œuf d'autruche (Duhard, 1991. Une zone de confection d'éléments discoïdes perforés en coquille d'oeuf d'autruche près de Hassi Ouchtat (région des Monts d'Ougarta, Béni-Abbès, Algérie). Bull. Soc. Anthrop. S.O., TXXVI, n°3, p. 121-130), ou à des éléments en pierre dure (Stations à cornaline des environs de la mare de Nâq (région de Télâtaye, Mali - découverte Duhard)
D'autres ont été élaborés sur de simples lamelles (d'épaisseur suffisante pour ne pas casser), après reprise des bords par retouche abrupte (fig. 5).
Les bords ne sont jamais rectilignes et parallèles, les épaulements observés devant éviter l'enlèvement d'éclats trop importants lors de la percussion, en jouant le rôle de "coche d'arrêt" ( Chevalier J., Inizan M.L., Tixier J. 1982. Une technique de perforation par percussion de perles en cornaline (Larsa, Iraq). Paléorient, vol. 8/2, p. 55-65).
Cet outil de perforation a été diversement dénommé : tarière, taraud, foret, mèche, perçoir, alésoir, tamponnoir (Terme proposé par le Dr. Gaussen), etc.. Avec Gaussen, il nous semble que l'on doive réserver le terme de tamponnoir (" Les tamponnoirs appartiennent à ces rares outils qui ne reçoivent de nom qu'après avoir servi " (Gaussen, ibid., 1991), que Lhote dénomme burin, aux outils permettant une perforation par percussion (piquetage), et celui de perçoir à ceux utilisés en abrasion rotative.
La différence entre les deux est moins dans la morphologie que dans les traces d'usure. Les tamponnoirs ont les extrémités écrasées, avec des esquillures axiales et offrent, une fois employés, un aspect trapu. Les perçoirs sont plus effilés mais, utilisés en tamponnoirs.. revêtent le même aspect d'usage. Alors pourquoi ne pas les dénommer " perçoirs-tamponnoirs ", admettant (Gaussen J., (non daté). Réflexions sur l'outil préhistorique (forme veut-elle dire fonction ?). manuscrit communiqué par l'auteur en 1998) que des outils très différents peuvent avoir effectué le même travail et que des travaux très différents peuvent avoir été effectués par le même outil (fig. 6).
Gaussen supposait qu'à Lagreich le silex extrait de la carrière d'Ichawan avait été dégrossi sur place puis amené sur la station pour y tailler des haches et ciseaux. Les gros éclats y auraient été repris pour obtenir des lamelles, avec les burins comme résidus. Ces lamelles, reprises par retouche et abattement des bords (retouche bilatérale, alterne et partielle, ou directe), fournissaient les tamponnoirs, simples ou doubles.
Pour les simples, le talon est parfois étranglé, pseudo pédonculé, sans que l'on puisse affirmer qu'il y a eu emmanchement.
L'usure distale conduisait à retailler l'une ou les deux extrémités, jusqu'à ne plus pouvoir utiliser le tamponnoir, la longueur minimale semblant être centimétrique (12 mm pour Chevalier).
A Télâtaye 4 ont été utilisés des becs (outils très particuliers n'ayant pas d'équivalent dans le Néolithique saharien, mais rencontrés dans le Magdalénien européen), qui sont des éclats où étaient aménagés de 1 à 4 ergots pointus, outils en tous points identiques à ceux du Magdalénien moyen (fig. 11).
Les techniques

Avant perforation, la surface devait être préparée par enlèvement d'un éclat de type Levallois (comme à Ilouk) ou creusement d'une cupule initiale par piquetage formant une petite dépression concave, de façon à ne pas déraper avec le perçoir ( C'est qu'avait supposé Mortillet, dès 1883 (cité par Lhote, 1943).
Pour la perforation proprement dite, deux techniques bien différentes ont été utilisées : piquetage et abrasion, parfois associées ou complétées par d'autres gestes.
1 -le piquetage On reconnaît cette technique à l'examen de l'orifice, présentant une surface chagrinée, en peau d'orange, avec des micro cratères confluents, sans trace de stries concentriquest (Chevalier, ibid., 1982 : 57).

Le mode opératoire
Le piquetage se faisait au tamponnoir, probablement par percussion médiate, au moyen d'un " marteau " approprié (bois animal ou végétal), plutôt qu'en percussion directe.
Les coups répétés avec l'extrémité de l'outil provoquaient des micro fissures en cône de Hertz amenant une pulvérisation de la roche, se creusant peu à peu. Il fallait certainement changer de tamponnoir en cours de perforation, du fait de l'écrasement de la partie distale. D'où l'extrême abondance de ces outils.
Les tamponnoirs (comme les perçoirs) pouvaient être utilisés par une seule extrémité (tamponnoirs simples) ou les deux (tamponnoirs doubles). Pour être efficace un tamponnoir doit être robuste de la pointe et épais du corps, comme démontré expérimentalement par Lhote.
Leur diamètre est variable pour être adapté à celui de l'orifice de perforation. Il est probable que cet outil était emmanché, afin d'améliorer à la fois sa résistance et sa précision ; mais Chevalier a réalisé des perforations expérimentales satisfaisantes en le tenant entre les doigts, et en le tournant régulièrement avant chaque frappe.
Ne sachant comment la perle était maintenue, on est réduit à des conjectures : immobilisation manuelle par un aide, sertissage dans un berceau de bois, incrustation dans un sac en peau empli de sable,- bois et sable amortissant les coups et évitant (pas toujours) les bris.
Des accidents de piquetage aboutissaient à des fractures : les éléments abandonnés en grand nombre sur les ateliers en sont l'illustration.
les variantes techniques
Le piquetage a été utilisé seul ou associé à une autre technique de perforation, permettant de distinguer plusieurs modes opératoires :
a) piquetage unilatéral : c'est la technique employée par exemple à Ilouk, déjà cité.
b) piquetage alterne
La perforation des parures de Télâtaye et Tichitt a été faite par piquetage alterne, comme l'examen des orifices le montre : la totalité de la surface des cônes présente l'aspect martelé caractéristique.
Cette technique peut être observée sur des pièces de diverses origines, n'étant spécifique d'aucun site, ni d'aucune époque.
A Télâtaye, après abrasion des cônes par usure, précise Gaussen, la perforation a été pratiquée par piquetage bilatéral alterne à l'aide soit de tamponnoirs pour les petits éléments, soit de " becs " pour les grands éléments (station de Télâtaye-4, fig. 11).
La patine des ces perles est inégale : les surfaces brutes de taille ou sièges d'enlèvement en sont dépourvues ; les surfaces piquetées sont assez patinées ; les surfaces polies très peu. L'explication fournie par Tixier (cité par Chevalier) est l'accroissement de la surface d'exposition subaérienne à l'humidité dans les parties égrisées ou piquetées.
c) piquetage et abrasion rotative
L'examen de certaines perles montre que les deux techniques sont parfois associées, le piquetage précédant la perforation par abrasion rotative. En fait, c'est souvent une nécessité, quand la face est très plane et dépourvue de saillant (accident de relief ou grain) pour caler la pointe du perçoir.
Dans ces cas là, la partie supérieure de la cupule présente l'aspect caractéristique en peau d'orange, et la partie inférieure est régulièrement abrasée.

A Gadaoui, le piquetage bilatéral était suivi d'un forage abrasif, ce que montre l'examen en coupe des pièces, les parois de la partie centrale étant plus étroites et plus verticales. A Ilouk, Gaussen a remarqué que la lumière des " perles ", perforées par piquetage, avait été adoucie par abrasion rotative.
Lhote, relevant le grand nombre de pièces éclatées lors de l'initialisation du piquetage opposé, s'étonnait que les artisans n'aient pas pratiqué un piquetage d'attaque bilatéral (il parlait de " défaut de technique " (Lhote, 1943, p. 36), avant d'entreprendre la perforation, l'hémi-creusement à partir d'une face fragilisant la pièce lors du creusement sur l'autre face.

d) piquetage et coup d'éclat : technique de Larsa
Ce procédé, décrit par Chevalier (Chevalier J., ibid.) en Iraq, est identique à celui d'Ilouk ou de Télâtaye au Mali (il s'agit bien sûr d'un phénomène de convergence : avec les mêmes moyens l'esprit humain aboutissant aux mêmes solutions devant des problèmes identiques) dans la phase terminale.
Le premier temps de la perforation est un classique piquetage d'une face au tamponnoir, jusqu'à obtention d'une cupule conique de profondeur à peu près égale à la moitié de l'épaisseur de la perle.
Avec le même tamponnoir, ou un autre de diamètre légèrement inférieur, un coup assez violent est donné sur le fond de la cupule, détachant sur la face opposée un cône parfait, symétrique de la cupule.
Sur cette face s'observe le négatif du cône, avec de légères ondulations ténues. De tels cônes, à talon de percussion central, ont été trouvés sur les sites de confection, permettant de vérifier cette hypothèse de perforation (fig.7).

2- l'abrasion rotative

dans cette technique la perforation est obtenue par rotation d'un outil perforateur, laissant des stries concentriques sur les parois du canal.

le mode opératoire

Il est généralement admis, au plan théorique, que le sable a servi d'abrasif, additionné d'eau, mais Lhote a constaté que sous l'action du silex le quartz se désagrégeait facilement en produisant une poudre blanche, et qu'il n'était nul besoin d'additif.
En soumettant ses galets de quartz à l'action de la chaleur, puis en les précipitant dans l'eau ("étonnement"), Lhote a constaté qu'ils se travaillaient plus facilement.
Cette variation de résistance selon la température et l'humidité était connue des tailleurs de pierres à fusil en silex exerçant encore au début du XXème siècle (information donnée par feu mon ami Pouis Trotot), et l'échauffement des lames préalablement à leur taille sans doute pratiqué par les Solutréens.
Autant il semble évident à l'examen des pièces que la perforation a été obtenue par abrasion rotative (stries concentriques et aspect régulier de la surface), autant la nature de l'outil perforateur est mal connue. Pour les orifices les plus importants les perçoirs en silex longs et fins ont sans doute étaient utilisés (Un fragment de mèche en silex a été trouvé par l'Abbé Glory dans un spondyle perforé provenant d'une sépulture néolithique d'Alsace (Lhote, 1943). En procédant à des forages expérimentaux (fig. 8)
avec de tels outils, j'ai fait les constatations suivantes :

- il m'a semblé plus facile de faire tourner simultanément et en sens inverse l'élément à percer et l'outil, les deux étant tenus entre les doigts, plutôt que d'immobiliser le premier.
- je n'ai pas observé d'usure notable de la partie distale de l'outil en silex avec le quartz, ni même avec la cornaline.
- les petites retouches abruptes latérales sur l'outil permettent une attaque plus franche que s'il en était dépourvu.
- en mouillant l'orifice, la pointe du perçoir patine, alors qu'elle accroche parfaitement à sec.
- le quartz est beaucoup plus facile à percer que la cornaline.
- l'opération est longue et fastidieuse.
On a aussi supposé (Déchelette, 1924. Manuel d'Archéologie Préhistorique, 2ème édit., T.1 : 512.) que l'outil était en bois, cette matière ayant l'avantage de saisir et d'entraîner le sable entre ses fibres, augmentant l'action du rodage. Il n'est pas exclu que l'os ait également pu être utilisé.
L'étroitesse du canal de certaines perles n'est pas sans poser de problèmes quant à la finesse de l'instrument employé : perçoirs minuscules ou épines ? L'usage de mèches métalliques est exclu : elles ne peuvent attaquer la cornaline, comme le démontre l'expérimentation (témoignage oral de Gaussen); seuls les abrasifs à base de quartz ou de diamant y parviennent.
Une autre question non résolue est de savoir si cet outil a été mû manuellement ou au moyen d'un archet, procédé supposé connu des Néolithiques pour allumer le feu, hypothèse proposée par Gaussen ( 1988 : le Tilemsi préhistorique), et que la régularité des cônes de perforation rend probable, comme dans le cas des rondelles de Korogoussi, où l'orifice est parfaitement circulaire et quasiment de forme identique sur toutes les pièces.

Les variantes techniques :

a) abrasion rotative alterne
C'est le procédé le plus répandu. Il aboutit à la formation d'un canal en diabolo, les axes d'attaque étant ou non dans le prolongement (A Bordj Mallela, les perforations, à section biconique, se rejoignent " approximativement au milieu, mais pas parfaitement dans le même axe " (Aumassip G., ibid.)
On observe souvent, pour les éléments les plus longs, une divergence des axes, parfois telle que le travail a été abandonné ou qu'une brisure en a résulté.
L'examen de l'âme de ces canaux montre en outre si un ou plusieurs perçoirs ont été utilisés :
- dans certains cas (canal régulièrement conique), il apparaît qu'un seul a été employé
- dans d'autres, les différences de diamètre entre la base de l'orifice et la partie médiane du canal d'une part, et les inégalités d'obliquité des parois de ce canal d'autre part, laissent penser que plusieurs perçoirs de diamètres décroissants ont été utilisés.

b) abrasion rotative unilatérale
La perforation, initiée sur une face (perle ronde ou discoïde) ou une extrémité (perle tubulaire), est poursuivie jusqu'à l'autre face ; dans ce cas on obtient un canal conique plus ou moins allongé.

c) abrasion rotative et coup d'éclat (Ce que Gaussen appelle abrasion-percussion (1991):
- technique de Taguelalt (Mali)
Décrite la première fois par Gaussen (Gaussen M., Gaussen J., 1998. Le Tilemsi préhistorique et ses abords. Cahiers du Quaternaire n°11, édit. C.N.R.S., 1 vol., 272 p., 165 fig.) , précisant que cette technique ne semblait pas avoir été pratiquée ailleurs au Sahara et la définissant ainsi : " La perle de Taguelalt se reconnaît très facilement : non parce qu'elle est en cornaline et que son canal est cylindrique, mais en raison de la disparité de ses faces ; l'une est plane, l'autre fortement cratérisée " (Gaussen J., 1991. Perles néolithiques du Tilemsi et du pays Ioullemedene (ateliers et techniques). L'arte...)

Cette face plane a été obtenue par enlèvement d'un éclat selon la technique Levallois, précise-t-il encore. Quant à la face cratérisée, elle résulte, comme à Larsa, du détachement, arrivé aux deux tiers de la perforation, d'un petit cône par percussion sur le perçoir, emportant la partie restant à perforer. L'examen des cônes montre bien à leur sommet le fond ombiliqué du canal de perforation.
Selon lui, le perçoir devait être en bois (épine) ou en os, son diamètre ne pouvant excéder 1.8 mm.
technique de Korogoussi : j'ai observé le recours à une technique tout à fait superposable pour ces perles baroques, la perforation, à l'approche de la face opposée, étant achevée par enlèvement d'un petit éclat (fig. 2).
l'enlèvement tangentiel opposé est une variante au coup d'éclat : un élément de parure sphéroïde aplati de 14 mm en agate, acheté au Souk de Bamako, a été perforé d'une façon un peu différente :
- petit piquetage sur la 1ère face suivi d'une
- perforation par abrasion rotative d'un canal cylindrique, puis
- enlèvement d'un éclat conchoïdal sur la 2de face par percussion tangentielle.

Polissage

Egrisage


Une fois perforées, des perles sont restées en l'état brut et ne semblent pas avoir fait l'objet de régularisation ultérieure des surfaces (Ilouk, Tilemsi).
D'autres ont été régularisées, ce que l'on appelle l'égrisage, probablement obtenu par retouche directe au percuteur dur. Il semble que, pour certaines perles, le travail de régularisation des surfaces se soit arrêté là.
Pour d'autres pièces, il précédait le polissage : polir un élément pourvu d'arête est possible, mais demande un travail long et fastidieux ; l'égrisage facilite cette tâche.
Chronologie du polissage

Le polissage est en général la dernière étape dans la confection des perles. C'était ce que soutenait Gaussen : " pour quelles raisons aurait-on poli des perles dont une bonne partie allait être cassée par la suite.. ? " (il avait trouvé une bille polie en quartz à In Arabou, dans le Tilemsi, exemplaire unique apparemment).
Lhote avait observé le contraire à Gadaoui : " le polissage était pratiqué avant toute opération de forage ", soulignait-il. Verneau avait constaté la même chose pour les perles sphériques de Mauritanie, peut-être confondues avec des " billes " polies n'ayant jamais été perforées, dont j'ai trouvé quelques exemplaires près du Dhar Tichitt. Chevalier a précisé qu'à Larsa un polissage grossier précédait également la perforation.
J'en ai souvent discuté avec Jean Gaussen, y compris sur le terrain, en lui montrant une perle sphérique polie et non perforée (station d'Aguîtta, Mali). La vérité est que ces exemples sont exceptionnels, le trou de perforation facilitant la préhension de la perle pour le polissage.
A Télâtaye, le polissage des perles taillées n'intervenait, selon Gaussen, que pour les pièces les moins bien réussies, et encore n'était-il que partiel.

Technique de polissage

Gaussen s'est interrogé sur la technique utilisée pour certains éléments discoïdes : elle n'a pu être obtenu que par usure, mais selon un mode inconnu. Pour Ilouk, il avait évoqué la possibilité d'un "brassage au sein d'une masse sableuse", excluant ce procédé pour Télâtaye, l'égrisage ou le polissage n'intéressant le plus souvent que les seules parties en relief.
Les perles portant des facettes latérales ont du être polies sur une surface abrasive plane. C'est le cas des pièces trouvées sur les corps de la station sépulcrale de Nâq, mais elles datent de l'Age du Fer, époque où existaient peut-être des meules rotatives (C'est également le cas des perles de Bordj Mellala publiées par Aumassip et coll. (1974). Sur la vallée de Nâq, voir : Duhard J.-P., Gaussen J., G. et M. Léon.- 1990.- Témoignages d'un Age du Fer dans la région de Nâq (République du Mali), Mobilier métallique et parure. Bull. Soc. Anthrop. S.O., T. XXV, n° 4, pp. 223-236).
Une usure par frottement sur une roche gréseuse ( Lhote s'est essayé à polir des galets de quartz sur des meules en grès néolithiques à l'aide de sable mouillé, n'obtenant que " des résultats très locaux, après un travail fort pénible " (L., 1943 : 33) ou avec un abrasif porté par un morceau de peau animale sont pour moi des hypothèses raisonnables.
Il n'est pas exclut que les pierres à rainures trouvées en grand nombre par Gaussen dans le Tilemsi aient pu avoir l'usage de polissoirs (243 pierres recueillies à In Arabou !), bien que l'auteur penche pour la confection de poinçons en os. L'absence de matériel osseux sur le site va plutôt à l'encontre de cette hypothèse et la section en " U " des rainures, larges de 6 à 15 mm, en faveur d'un usage comme pierre à polir les éléments de parure.
Une petite pièce rainurée en ma possession, de 68 mm de long, provenant de Mauritanie, a pu avoir le même usage (fig. 9, cl. JP D.).
Quels renseignements nous apporte l'ethnologie ? Dans les sociétés primitives, écrivait Lhote (L., BSPF, 1943 : 33.), " les travaux minutieux et de patience sont souvent réservés aux femmes ". Pourtant, chez les Papous de Nouvelle-Guinée ce sont les hommes qui effectuent le travail de polissage des haches sur des surfaces planes, qu'ils usent en cuvette, travail dont ils viennent à bout en moins d'une journée.
En Mauritanie j'ai eu l'occasion, près de Chinguetti, d'observer dans un campement nomade une femme procédant au polissage de " perles " (fig. 10).
Si l'obstacle de la langue ne m'a pas permis d'apprendre leur origine, l'étude de ses gestes m'a fourni quelques clefs :
- les perles avaient été perforées préalablement, selon un procédé inconnu
- elles étaient tenues par une pince à épiler (à Larsa, Chevalier avait supposé que les éléments perforés aient pu être enfilés et fixés sur une tige en bois avant polissage)
- la surface abrasive était une matière siliceuse, non humidifiée : très exactement du ciment utilisant le sable fin de l'oued et coulé dans un demi pneu ; une meule, ou un fragment de meule en grès auraient sans doute offert les mêmes possibilités (Gaussen a découvert dans les environs d'In Aoukert (Tilemsi) une meule transformée en polissoir à rainures rectilignes et un fragment de meule portant une rainure curviligne à section en " U ").
- la polisseuse avait travaillé des perles de formes différentes, les unes sphériques, d'autres discoïdes, les dernières fusiformes, avec la même efficacité.

Conclusion

Cette revue des modes opératoires en matière d'élaboration des éléments perforés de parure est sans doute incomplète et pêche par le manque de reproduction expérimentale. Il aurait fallu reconstituer toute la séquence de confection, depuis le formatage de l'ébauche, jusqu'au polissage, en passant par la perforation (fig.. 12). Il m'a manqué la patience et l'adresse des Néolithiques pour l'entreprendre et y parvenir.
Une question reste posée : que sont devenues les innombrables parures confectionnées par les Néolithiques, retrouvées en si petite quantité sur les ateliers et dans les régions voisines ? Un début de réponse est fourni en parcourant les marchés africains, où l'on en trouve en abondance, et nombre des colliers vendus dans les " bana-bana " de Niamey ou les souks de Gao, Bamako et Nouakchott comportent des " perles " néolithiques.